Voici des séquences suivantes de l'adaptation.
SEQUENCE.3 - : Mauvaises rencontres
LE CONTEUR
Chassé du paradis, le doux Candide marche sans savoir où il va; les yeux au ciel, il pleure, ou alors souvent il regarde vers le plus beau des châteaux qui renferme la plus belle des baronnettes.
Il couche sous les ponts, il a froid…
CANDIDE
J’ai froid…
LE CONTEUR
Il a faim…
CANDIDE
J’ai faim…
LE CONTEUR, le repoussant
La neige tombe à gros flocons. Sans domicile fixe, il se traîne jusqu’à la ville voisine. A la porte d’un café, deux types habillés de bleu le remarquent.
RECRUTEUR 1 , à son collègue
Camarade, voilà un jeune homme très bien fait, et qui a la taille requise. ( à Candide ) Eh jeune homme, ça te dirait un bon repas chaud ?
LE CONTEUR, à Candide
N’y va pas, c’est un piège.
CANDIDE
Messieurs, vous me faites beaucoup d’honneur, mais je n’ai pas de quoi payer mon écot.
RECRUTEUR 1, repoussant rudement le conteur
Oh oh Monsieur a de l’éducation !… Les personnes de votre figure et de votre mérite ne payent jamais rien : n’avez-vous pas cinq pieds cinq pouces de haut ?
LE CONTEUR
Non !
CANDIDE, faisant la révérence
Oui, Messieurs, c’est ma taille.
RECRUTEUR 1, l’invitant
Ah Monsieur, mettez-vous à table ; les hommes sont faits pour se secourir les uns les autres.
LE CONTEUR, lui soufflant à l’oreille
Ce sont des recruteurs.
CANDIDE
Maître Pangloss m’a toujours dit que tout est au mieux.
RECRUTEUR 1
Alors à table… Aubergiste, à boire et à manger pour notre ami !
Ils s’installent.
LE CONTEUR, à Candide
Ne mange pas trop vite ; ne bois pas trop.
RECRUTEUR 2, repoussant le conteur, à Candide
N’aimez-vous pas tendrement ?
CANDIDE
Oh oui, j’aime tendrement Mlle Cunégonde.
RECRUTEUR 2
Non, nous vous demandons si vous n’aimez pas tendrement le roi des Bulgares.
CANDIDE
Point du tout, car je ne l’ai jamais vu.
RECRUTEUR 1
Comment ! C’est le plus charmant des rois, il faut boire à sa santé.
CANDIDE
Très volontiers !
RECRUTEUR 1
Ç‘en est assez ! Vous voilà l’appui, le soutien, le défenseur, le héros des Bulgares ; votre fortune est faite, et votre gloire est assurée.
Ils se saisissent de Candide
LE CONTEUR
Ah mon Dieu, on lui met sur le champ les fers aux pieds ! et on le mène au régiment.
SEQUENCE.4 - : la vie au régiment
LE CONTEUR
La vie au régiment ! ( à Candide ) Demi tour à droite !… à gauche ! hausser la baguette, remettre la baguette, coucher en joue, tirer, ah je t’avais prévenu ! Double le pas ! allez c’est nul ! trente coups de bâton pour que ça rentre ! ( il donne un coup de bâton) Tiens, prends ça aussi… Tu n’as pas voulu m’écouter.
Le lendemain, Candide fait l’exercice un peu moins mal, vingt coups de bâton seulement…(jeu ) Le surlendemain, dix seulement…(jeu)
( à Candide ) Diable, tu fais des progrès incroyables. Les camarades te regardent comme un prodige, un héros.
CANDIDE, courbaturé
Comment, je suis un héros ?
LE CONTEUR
Où vas-tu ?… te promener ?…mais
CANDIDE
C’est un privilège de l’espèce humaine, comme de l’espèce animale, de se servir de ses jambes à son plaisir.
LE CONTEUR
Tu seras porté déserteur. Tu sais ce qu’on fait au déserteur ? douze balles dans la tête !
Candide s’éloigne
Il n’a pas fait deux lieues que voilà quatre autres héros de six pieds, tous des camarades, qui lui tombent dessus, le ligotent, le jettent dans un cachot.
On lui demande juridiquement ce qu’il aime le mieux : être fustigé par tout le régiment ou recevoir douze balles dans la cervelle.
Il choisit les baguettes et essuie deux promenades ; deux mille hommes, quatre mille coups de baguettes. Ah l’écorché vif !
CANDIDE, il tombe à genoux
Grâce, assez !
LE CONTEUR, un tantinet sadique
Encore !
CANDIDE
De grâce ! Qu’on ait la bonté de me casser la tête…
LE CONTEUR
Accordé !…
Au moment fatal, voilà le roi des Bulgares qui passe; ce roi est un grand génie, il s’informe et comprend; Candide est sauvé ; la clémence royale sera louée dans tous les journaux, et dans tous les siècles des siècles.
CANDIDE
Amen.
LE CONTEUR
Candide a déjà un peu de peau quand le roi des Bulgares livre bataille au roi des Abares.
SEQUENCE.5 - : La guerre
LE CONTEUR
C’est la guerre…La bataille commence.
Tout de suite les canons renversent six millions d’hommes de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôte du meilleur des mondes environ neuf à dix millions de coquins qui en infestaient la surface. La baïonnette est aussi la raison suffisante de la mort de quelques millions d’hommes. Soit un total d’une trentaine de millions d’âmes.
« O malheureux mortels ! ô terre déplorable !
O de tous les mortels assemblage effroyable »…
( il aperçoit un personnage en arme et terrifiant ) Qui êtes-vous ?
LA GUERRE
Je suis la Guerre. Rien n’est si beau, si brillant, si bien ordonné que deux armées en ordre de marche. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, forment une harmonie telle qu’il n’y en a jamais eu en enfer !
LE CONTEUR
Certes, certes…Mais tous ces corps démembrés…
LA GUERRE
Magnifique, hein ? belliqueux, bellifique ! Héroïcusse, héroïcasse !
LE CONTEUR
Une ratataouiillerie de tripes à l’air ! … une boucherie, en clair…
« D’inutiles douleurs éternel entretien ! »
Et mon Candide, où est-il là-dedans ?
CANDIDE, sortant de sa cachette
Je suis là…
LE CONTEUR
Tu étais caché… Mon Dieu, tu trembles… Reste caché.
LA GUERRE
Place aux chants de victoire, entonnons le Te Deum à la mémoire des héros morts au champ d’honneur.
LE CONTEUR, montrant Candide
Voilà un héros !
LA GUERRE
Vivant ?
LE CONTEUR
Hélas…
CANDIDE, enjambe un corps démembré
On dirait un champ de morts… (il glisse sur un membre …)
LE CONTEUR
Un champ de pommes de terre…
CANDIDE
Un tas de morts et de mourants…
LE CONTEUR
Un champ d’honneur.
LA GUERRE
Honneurs aux héros !
LE CONTEUR
Candide sauve-toi, cours dans ce village là-bas – ah merdum il est en cendres – c’était un village abare… Les Bulgares l’ont brûlé, selon les lois du droit public… Des vieillards criblés de coups regardent mourir leurs femmes égorgées, elles tiennent encore leurs enfants à leurs mamelles sanglantes
LA GUERRE
Honneur et gloire !
LE CONTEUR
Là des filles violées, éventrées ...Là d’autres filles à demi brûlées, saignées, découpées, elles supplient qu’on les achève…
LA GUERRE
Honneur et beauté !
LE CONTEUR
Va-t-en, Candide, sauve-toi, fuis vers cet autre village !
Candide court, s’enfuit dans un autre village où il s’arrête net
Pourquoi t’arrêtes-tu ? Que se passe-t-il ? Ce village appartient aux Bulgares, tu n’as rien à craindre…
CANDIDE
Regarde. Les héros abares l’ont traité de même, filles violées, cervelles arrachées.
LE CONTEUR
Cours, va-t-en loin de ces ruines fumantes, courage, fuis donc ! et n’oublie jamais Mlle Cunégonde.