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18 janvier 2009

L'oeuvre d'art (fin)

Les familles ayant un ou plusieurs adolescents déménagèrent, d’autres emplirent précipitamment des valises et s’enfuirent par le train, en voiture, et même à pied ! Le nombre accru d’accidentés de la route inquiéta les gendarmes. J’étais jeune homme, à l’époque, continuait le croque-mort. Plutôt turbulent et heureux de vivre…Il baissa la voix pour dire : je me souviens encore d’elle. - De qui ? - La ferme !... J’allais pas souvent à l'église, et encore moins à la mairie. Ce jour-là j’allais chercher ma nouvelle carte d’identité, la gratuite, tiens. En levant les yeux, j’ai vu « l’œuvre d’arrrt ». Au prime abord, rien d’extraordinaire. Un classique paysage de par chez-nous, la mer avec sa plage, le ciel, bôf ! Pas de quoi fouetter un chat comme on dit. Pis moi, la peinture, tiens, prends ça !… Il cracha de nouveau. Et tout d'un coup son visage de brute se transfigura...Sa voix elle-même changea, se radoucit : - Et puis j’ai croisé son regard, murmura-t-il... Sur le côté droit du tableau, un visage... le visage d’une jeune fille rousse, très pâle, représentée de trois quarts. Avec des yeux…un regard…Il avait la fraîcheur d’un matin d’été, l’éclat de la rosée traversée par la lumière du matin, la senteur des sous-bois...Je forçais mon regard à observer le ciel – banal - la plage – quelconque - mais il glissait doucement, irrésistiblement vers le beau visage… et les yeux. Brillants et profonds comme un lac...J’étais un garçon bouffé par l’acné, aux cheveux longs et crasseux, mal dans ma peau ; je prenais un plaisir sadique à me moquer des filles. Elles s’écartaient de mon chemin, elles m’évitaient, ces idiotes. Mais pas elle ! Je prenais sur moi, je détournais les yeux, allongeais la jambe pour foutre le camp mais elle me rappelait, s’accrochait à moi. Ses yeux, ses lèvres…ils étaient vivants ! - Ah, fis-je incrédule. - La ferme ! dit le croque-mort en me jetant un regard terrible. Je ne savais plus du tout où j’étais, ce que j’étais venu foutre ici. Les autres jours non plus, je ne savais pas. Je ne savais plus. Je me faisais porter pâle au boulot pour venir la voir. Je balançais des excuses bidons à la secrétaire de la mairie, rien que pour rester planté devant elle et la contempler. Elle m’appelait, m’invitait dans sa vie, me gorgeait d’espoir, d’amour…Le reste, tiens, je m’en foutais…prends ça ! Elle m’appelait…Et moi je restais là comme un handicapé fou d’amour…Des jours et des nuits…je rêvais d’elle, je la voyais, tiens, comme je te vois ! je la sentais tout contre moi, je la dévorais, je…je… Et un soir - maudit soit la salope ! - tout d’un coup elle a pris un air sévère et m’a dit : Viens, je t’attends !... On habitait au troisième.J'ai ouvert la fenêtre... Par chance, je suis tombé sur le toit d’une bagnole. Un mois de coma, les jambes brisées… Quand je suis revenu à moi, l’étranger avait disparu avec son « oeuvre d’arrrt ». Longtemps j’ai hurlé comme un fou… - Voilà l’histoire, dit le croquemort en ôtant son chapeau mou. J’observai la longue cicatrice sur son crâne dégarni en frissonnant malgré moi. - C’est l’amour de votre vie, dis-je maladroitement. Il me foudroya du regard. Son poing se serra... Allait-il me frapper ? Je reculai, trébuchai à cause d'un pot de fleurs artificielles. Qu'est-ce que j'étais venu faire ici ? je ne m'en souvenais plus ! Je lui tournai le dos, j’allais m’éloigner d’un air piteux quand je l’entendis grogner : - Quel âge avait donc ton oncle ? J'entendis son rire...L’allée E, jeune homme, rappelle-toi ! tiens, prends ça !… Je me mis à courir,à fuir vers les lumières rassurantes de la ville...Mais ce rire diabolique me poursuit encore aujourd'hui.
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